Se démarquer en dégriffant : de quoi le changement de logo est-il le signe ?

Retirer un accent (CÉLINE/CELINE), changer la police du logo (Burberry, Dior, Calvin Klein), ces manipulations typographiques banales, communes du point de vue marketing, se révèlent moins anecdotiques qu’il n’y paraît, compte tenu de leur systématicité et de leur valorisation sur les réseaux sociaux. Elles signalent une inflexion déterminante quant à la nature et à l’orientation de l’exercice créatif dans la mode, désormais centré sur la conception d’images et leur cohérence globale (publicité, vitrine, internet-) – en témoigne encore la dénomination des statuts dans l’industrie créative, la désuétude relative de la fonction de styliste à la faveur de la notion plus large et plus abstraite de directeur artistique. – Plus profondément, on peut y voir un indice éloquent du rapport de la marque à sa généalogie, à son histoire, et la façon dont elle la met en scène, voire la réécrit. En changeant sa signature, la marque réinvente le récit linéaire de ses origines, elle en fait un événement, instaurant un rapport délicat semble-t-il, avec le passé proche.

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Depuis quelques années, le remaniement et le renouvellement des équipes créatives à la tête d’une maison de mode semblent suivre le rythme saisonnier des collections. Certains parlent d’une valse, sans doute à mille temps pour désigner ces va-et-vient de stylistes dont certains ne restent pas plus d’une saison (Bouchra Jarrar chez Lanvin) ou deux (Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer chez Courrèges) : temps suffisant pour marquer les esprits de manière fugitive sans pour autant laisser une empreinte pérenne. De ce mouvement, on retiendra tout particulièrement le départ de Ricardo Tisci de la Maison Givenchy et son arrivée chez Burberry à la place de Christopher Bailey et la nomination d’Hedi Slimane, précédemment chez Yves Saint-Laurent, à la tête de la maison Céline succédant à Phoebe Philo. Point commun entre les deux créateurs, la reconnaissance d’un style particulier et très marqué, uni par un goût pour le noir, l’imaginaire sombre de l’Italie chrétienne, le romantisme gothique pour Tisci et les silhouettes étriquées, l’univers musical du rock et son influence sur les corps chez Slimane. Autre point commun : leur prise de fonction s’est accompagnée d’un geste significatif : la modernisation du logo, autrement dit sa transformation. Ricardo Tisci avec le concours du graphiste Peter Saville a changé la police du logo Burberry et a lancé la réédition d’un imprimé historique, se substituant à l’imprimé check iconique. Quant à Hedi Slimane, il opère également un jeu typographique sur le logo Céline : léger agrandissement des capitales, suppression de l’accent et du « Paris », qui accompagnait le nom de la marque sous Phoebe Philo.

Parler de modernisation du logo n’est pas tout à fait exact, du moins si l’on comprend par là une adaptation à l’ère du temps comme c’est le cas pour certaines institutions dont les restructurations profondes impliquent souvent des transformations de l’identité visuelle : lettres plus rondes du logo, couleurs plus chaudes privilégiées pour la plateforme marchande en ligne, facilitant l’interactivité. Les récentes métamorphoses de la SNCF sont de ce point de vue, exemplaires. Dans le cas des deux marques précitées, cette modernisation est plutôt à entendre comme un retour aux sources [1]. Il s’agit de se rapprocher de l’origine de la marque, de la façon dont les éléments de l’identité de la marque ont été inventés au moment de sa fondation. Plutôt que de modernisation donc, ce procédé s’identifie davantage à une recherche d’authenticité.

Cette quête d’authenticité admet deux conséquences :

• d’une part, elle influence la réception de ce qui est immédiatement antérieur à l’arrivée du nouveau créateur –Tisci ou Slimane – ne serait-ce que par un soupçon de discrédit jeté sur le prédécesseur. Et pour une raison simple : dans la quête graduée vers l’authenticité le second est plus proche de l’esprit de la marque que le premier.
• d’autre part, elle associe de façon plus intime le directeur artistique fraîchement nommé avec une nouvelle ère dans l’histoire de la marque (cf. le hashtag #newera de Burberry) Cette logique de la renaissance, voisine de celle de la tabula rasa instaure une temporalité sur laquelle il faut nous pencher de façon plus approfondie : pourquoi est-il nécessaire de faire fi du passé, du moins d’un certain passé pour accentuer ou relancer la crédibilité d’une marque, sa visibilité et sa capacité à susciter un désir de consommation ?

La recréation du logo par sa mise en scène sur les réseaux sociaux, en particulier chez Céline prend l’envergure d’un événement [2], c’est-à-dire ce qui inaugure véritablement le style du directeur artistique, ce à quoi on reconnaît sa touche : le baptême du feu se déroule dans le domaine graphique et ne coïncide plus avec l’élaboration d’une collection de vêtements. Ce geste créateur, au sens où il fait advenir quelque chose de nouveau, s’apparente conjointement à un geste effaceur car il fait disparaître toute trace du passé (notamment toutes les publications du compte Instagram et le site internet), associant l’arrivée du directeur artistique à un véritable temps zéro de la marque, une refondation.

Un tel souci du logo, si exposé, si visible, est assez éloigné de la nécessité de la griffe au début du prêt à porter. On se souvient, notamment chez Lanvin ou chez Vionnet, des enjeux de l’élaboration la création d’un logo, pensé pour revendiquer l’originalité des modèles, pour garantir une forme de propriété intellectuelle et prévenir la contrefaçon, la vente abusive de copies réalisées sur commande par les couturières. Outre sa présence sur les cartes de visite et invitations, la griffe était avant tout invisible, cachée dans le revers de la robe, sur une étiquette. Ce rapport de préséance du vêtement sur l’étiquette s’est inversé dans l’histoire de la mode et à plusieurs reprises, notamment par la logomania des années 90, remise au goût du jour dans les dernières collections. Elle met en balance l’utilisation du logo comme un moyen, et au départ un moyen essentiellement juridique et un logo comme fin de la création, comme accomplissement.

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Plus profondément, cette tentative de mettre à distance un certain passé de la marque, en supprimant toute publication numérique indique comment les grandes maisons de mode gèrent le régime de la mémoire au royaume de l’instantané. Le fondateur devient mythique et sa place est au musée ; en revanche les intermédiaires proches sont relativement effacés (qui se souvient encore des collections de Stephano Pilati pour Yves Saint-Laurent depuis l’arrivée d’Hedi Slimane[3] ?) La notion d’héritage de la marque devient véritablement problématique puisque la mémoire se fait sélective et l’histoire, discontinue. Subsiste un patrimoine historique (les collections du fondateur, par exemple exposées à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent) et un nom suffisamment lointain et désincarné pour devenir un signe auquel il faut apposer un autre nom: Yves Saint-Laurent, devient Saint Laurent by Hedi Slimane ou aujourd’hui by Anthony Vaccarello. Ce jeu confirme le nouveau rôle du directeur artistique, moins dépositaire d’un héritage qu’auteur.

Entre le régime de l’archive régissant le passé éloigné et celui de l’instantané, le passé proche se voit appliquer l’opération de la réinitialisation….du Reset, ce qui réduit aussi la temporalité de la marque à la stricte actualité. Certes, l’attention sur le créateur en fonction est maximale, mais l’obligation du présent contraint son style à une certaine répétition. (cf. le hashtag #samebyhedislimane [4])

Notes : On rappelle au début de cet appareil de notes que logo en grec signifie parole.

[1] Toutes les publications institutionnelles des deux marques insistent sur ce retour aux sources, ce retour à l’esprit du fondateur permis par le changement de logo. Voir https://journalduluxe.fr/burberry-nouveau-logo/ et https://www.instagram.com/p/Bl-cMBcHhFD/?taken-by=burberry

[2] Evénement forgé par le déferlement des publications en ligne

[3] Stephano Pilati, styliste italien devient directeur de la création du Prêt à porter YSL en 2004 et succède à Tom Ford. Il est remplacé par Hedi Slimane en 2012.

[4] Par ce hashtag est dénoncé ou moqué la tendance d’Hedi Slimane à ne pas renouveler son style et à appliquer la même recette gagnante, peu importe la maison dans laquelle il officie. Hedi Slimane lui-même s’est expliqué sur ce point à Laurence Benaïm dans une interview du Figaro du 25 septembre 2018. L’apparente répétition de ses collections selon le designer n’est qu’une manière d’afficher et de défendre la constance d’un style, c’est à dire de respecter sa propre démarche créatrice. L’interview complète est également disponible sur le site Business of Fashion. 

Crédits photographiques :
Images des pages Instagram des marques obtenues par capture d'écran
Evolution du logo de la SNCF : 
https://www.graphiste-webdesigner-montpellier.com

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